Courrier des statistiques N1 - 2018
Présentation du numéro
La statistique n’est-elle qu’un éternel recommencement ? Il est fascinant, en parcourant le sommaire du premier numéro du Courrier des statistiques, paru en janvier 1977, de constater la permanence d’un certain nombre de grands thèmes. Presque tous les sujets traités dans ce numéro y étaient déjà abordés, certes sous un angle assez différent de celui d’aujourd’hui. Il faut bien être de son temps. Mais au fond, ce sont les mêmes questions qui déjà se posaient au statisticien.
Michel Volle, dans un court article intitulé « Pourquoi faire l’histoire de la statistique ? », rappelait que « la statistique est impliquée, très naturellement, dans des problèmes de pouvoir ». Et c’est précisément cette question que traite dans le premier article de ce numéro Jean-Luc Tavernier, en s’interrogeant sur la juste distance de la statistique publique à l’exécutif. Il montre que les compromis nationaux peuvent finalement s’incarner dans des formes organisationnelles très variées et que le cas français est plutôt satisfaisant si on le juge à l’aune de la confiance que nos concitoyens accordent à la statistique publique.
D’une certaine façon, c’est aussi cette question que traite Michel Isnard dans l’article qui clôture ce numéro. Il donne à voir la façon dont ces compromis s’organisent différemment à l’échelon européen et national, contribuant à une définition somme toute relativement élastique de la statistique publique. Le lecteur pourra aborder ces questions finalement assez épineuses en mettant ses connaissances du sujet à l’épreuve d’un petit quiz.
Regarder plus de 40 ans en arrière permet aussi de mesurer le chemin parcouru, notamment en matière de statistique administrative. En 1977, un article était consacré au Cerfa, qui, on l’a oublié aujourd’hui, a été rattaché, à sa création, à l’Insee, compte tenu « de son expérience (...) dans l’établissement de questionnaires d’enquêtes et de l’intérêt statistique de certains documents administratifs », comme le rappellait l’auteur, René Marbot. L’Insee se félicitait d’ailleurs d’avoir réduit d’un quart en 10 ans le nombre de formulaires administratifs. Il cédait cette année-là ses prérogatives sur le Cerfa au Secrétariat général du gouvernement, afin que le gouvernement dispose de tous les outils nécessaires à l’entreprise de simplification administrative qu’il entendait intensifier.
Dans le dossier consacré dans ce numéro aux sources administratives, Élisabeth Humbert-Bottin, la directrice du Groupement d’intérêt public pour la Modernisation des déclarations sociales (Gip-MDS) nous explique en quoi consiste la Déclaration sociale nominative (DSN) et la simplification qu’elle a permise, au prix d’un changement complet de paradigme par rapport à celui des Cerfa : en se rapprochant du fait générateur, qu’est la paie, l’allègement de la charge administrative ne se traduit pas par une perte de qualité. Elle met aussi en évidence le rôle prééminent de la normalisation des flux d’échanges opéré par le Gip dans son rôle de concentrateur, rôle qui est largement monté en puissance depuis la généralisation de la DSN en janvier 2017.
Pascal Rivière souligne à son tour dans son article, qui aborde le sujet de l’exploitation statistique des déclarations administratives de manière générale, le rôle clé de l’organisme concentrateur. Il constate en particulier que le processus de traitement des déclarations administratives présente de nombreux points communs avec le processus de production statistique. Les statisticiens seraient bien avisés d’en tirer tous les avantages, ce qui passe par une forte collaboration avec l’organisme qui concentre les flux déclaratifs y compris dans la gestion fine des anomalies.
La DSN est d’ores et déjà incontournable pour le système statistique public, et Catherine Renne nous explique comment elle est utilisée. Pour mieux maîtriser la qualité des données, l’importance d’une participation active aux instances de gouvernance et d’une connaissance fine de la norme y est soulignée. Mais l’auteur nous montre aussi la nécessité de vérifications et transformations effectuées en aval pour les besoins statistiques, et d’une véritable industrialisation des processus.
Ce dossier spécial comporte également un article sur les statistiques de la Justice de Christine Chambaz, sujet qui était également traité dans le tout premier numéro de 1977, par le chef du SSM de l’époque. La Chancellerie venait de se doter d’un Plan de rénovation de son dispositif statistique et s’attachait en priorité à la statistique judiciaire. L’article de Christine Chambaz fournit un précieux contrepoint aux articles du dossier. Ici, ni déclaration administrative ni formalisation rigoureuse des flux. Le statisticien est confronté à un ensemble complexe de données réparties entre silos, selon divers logiciels de gestion. Pour un usage statistique, elles requièrent mise en cohérence globale, normalisation a posteriori (définitions, unités statistiques, nomenclatures), et une façon de figer dans le temps des données vivantes, car liées à des besoins de gestion.
Enfin, l’article de Pierrette Schuhl illustre la façon dont les prérogatives de la statistique publique peuvent se renouveler et s’étendre en prenant appui sur des compétences anciennes et reconnues. En France, l’Insee a été proposé dès 2013 par le ministère de l’Économie et des Finances pour être émetteur local de Legal Entity Identifier (LEI), en raison de son expérience dans la gestion de répertoires et d’identifiants. L’article retrace les grandes étapes de la mise en place de ce dispositif mondial d’identifiant unique des intervenants sur les marchés financiers, au lendemain de la crise financière de 2007 et explique le rôle de l’Insee. Les données d’identification des entreprises ainsi collectées sont porteuses d’améliorations significatives de la connaissance de la composition des groupes, de leur assise financière et potentiellement de leur stratégie.
Lucile Olier
Rédactrice en chef, Insee
Paru le :06/12/2018